L’idée selon laquelle il faudrait « laisser les chiens se débrouiller entre eux » trouve souvent racine dans une croyance très répandue et tenace en éducation canine : celle d’une hiérarchie naturelle entre les chiens, où chaque individu chercherait instinctivement à dominer les autres pour établir un rang social. Cette vision, popularisée dans les années 1970 à travers certaines observations de meutes de loups captifs, a largement influencé les pratiques éducatives, souvent au détriment du bien-être animal.
Le concept de « chien dominant » s’appuie sur une mauvaise interprétation des comportements observés chez les loups. À l’époque, les chercheurs (dont Rudolf Schenkel) ont étudié des groupes de loups adultes non apparentés, enfermés ensemble dans des espaces réduits. Les conflits observés dans ces conditions artificielles ont été pris pour modèles de fonctionnement « naturel », alors qu’ils reflétaient en réalité un stress intense lié à la captivité.
Heureusement, les travaux plus récents, notamment ceux du biologiste David Mech (1999), ont corrigé cette vision. Dans la nature, les meutes de loups ne sont pas organisées autour d’une lutte constante pour le pouvoir, mais plutôt structurées comme des familles : un couple reproducteur et sa progéniture. Les interactions y sont beaucoup plus coopératives que conflictuelles. Mech lui-même a déclaré que le terme « alpha » était inapproprié pour décrire les relations naturelles entre loups.
Mais malgré ces nouvelles connaissances scientifiques, l’idée du chien « chef de meute » ou « naturellement dominant » a continué à s’ancrer dans les mentalités. Elle a notamment été relayée par certains éducateurs prônant des méthodes basées sur la soumission, la confrontation ou la répression des comportements canins (ex : renversement, collier à pointes, etc.). Résultat : beaucoup de propriétaires pensent encore que les chiens doivent « régler leurs comptes » entre eux pour « établir leur hiérarchie ».
Ce mythe de la dominance a aussi une conséquence directe sur la gestion des interactions entre chiens : en croyant qu’il existe un « ordre naturel » que les chiens doivent déterminer par eux-mêmes, certains humains refusent d’intervenir, même lorsque des signaux de mal-être ou de conflit apparaissent. Cela peut mener à des situations où un chien devient la cible répétée d’un autre, ou où les tensions montent sans régulation extérieure, dans l’idée fausse qu’un « équilibre naturel » finira par s’installer.
Il est important de comprendre que :
Le chien domestique (Canis lupus familiaris) a évolué séparément du loup depuis des milliers d’années.
Ses comportements sociaux sont influencés par son environnement, ses apprentissages, sa génétique et son lien à l’humain.
Les groupes de chiens ne fonctionnent pas selon une hiérarchie stricte et permanente, mais selon des relations individuelles complexes et fluctuantes, influencées par le contexte et les individus présents.
Ainsi, penser que les chiens doivent déterminer « qui est le chef » pour vivre en harmonie est non seulement inexact, mais dangereux. Cela légitime l’inaction face aux conflits, ou pire, des méthodes d’éducation basées sur la peur ou la contrainte.
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