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Doit-on laisser les chiens se débrouiller entre eux ?

Publié par Lucia le

Doit-on laisser les chiens se débrouiller entre eux ?

Les limites d’une croyance tenace en éducation canine

L’expression « il faut laisser les chiens se débrouiller entre eux » revient souvent dans les conversations entre propriétaires, au parc canin, ou même parfois dans des conseils bien intentionnés mais mal informés. Cette idée repose sur une croyance anthropomorphique selon laquelle les chiens, en tant qu’animaux sociaux, sauraient naturellement gérer leurs interactions, leurs conflits et leur hiérarchie sans intervention humaine.

Mais que se passe-t-il réellement lorsque nous laissons « les chiens faire entre eux » ? Est-ce bénéfique pour leur développement social, leur équilibre émotionnel et leur sécurité ? Ou au contraire, cette croyance pourrait-elle générer plus de mal que de bien ? C’est ce que nous allons explorer ici, en nous basant sur des faits, des observations comportementales et des recommandations issues des sciences du comportement animal.

Labradoodle qui essaie d'attrapper un chien qui court plus vite

I. Origine de la croyance : une interprétation erronée de la hiérarchie

L’idée selon laquelle il faudrait « laisser les chiens se débrouiller entre eux » trouve souvent racine dans une croyance très répandue et tenace en éducation canine : celle d’une hiérarchie naturelle entre les chiens, où chaque individu chercherait instinctivement à dominer les autres pour établir un rang social. Cette vision, popularisée dans les années 1970 à travers certaines observations de meutes de loups captifs, a largement influencé les pratiques éducatives, souvent au détriment du bien-être animal.

Le concept de « chien dominant » s’appuie sur une mauvaise interprétation des comportements observés chez les loups. À l’époque, les chercheurs (dont Rudolf Schenkel) ont étudié des groupes de loups adultes non apparentés, enfermés ensemble dans des espaces réduits. Les conflits observés dans ces conditions artificielles ont été pris pour modèles de fonctionnement « naturel », alors qu’ils reflétaient en réalité un stress intense lié à la captivité.

Heureusement, les travaux plus récents, notamment ceux du biologiste David Mech (1999), ont corrigé cette vision. Dans la nature, les meutes de loups ne sont pas organisées autour d’une lutte constante pour le pouvoir, mais plutôt structurées comme des familles : un couple reproducteur et sa progéniture. Les interactions y sont beaucoup plus coopératives que conflictuelles. Mech lui-même a déclaré que le terme « alpha » était inapproprié pour décrire les relations naturelles entre loups.

Mais malgré ces nouvelles connaissances scientifiques, l’idée du chien « chef de meute » ou « naturellement dominant » a continué à s’ancrer dans les mentalités. Elle a notamment été relayée par certains éducateurs prônant des méthodes basées sur la soumission, la confrontation ou la répression des comportements canins (ex : renversement, collier à pointes, etc.). Résultat : beaucoup de propriétaires pensent encore que les chiens doivent « régler leurs comptes » entre eux pour « établir leur hiérarchie ».

Ce mythe de la dominance a aussi une conséquence directe sur la gestion des interactions entre chiens : en croyant qu’il existe un « ordre naturel » que les chiens doivent déterminer par eux-mêmes, certains humains refusent d’intervenir, même lorsque des signaux de mal-être ou de conflit apparaissent. Cela peut mener à des situations où un chien devient la cible répétée d’un autre, ou où les tensions montent sans régulation extérieure, dans l’idée fausse qu’un « équilibre naturel » finira par s’installer.

Il est important de comprendre que :

  • Le chien domestique (Canis lupus familiaris) a évolué séparément du loup depuis des milliers d’années.

  • Ses comportements sociaux sont influencés par son environnement, ses apprentissages, sa génétique et son lien à l’humain.

  • Les groupes de chiens ne fonctionnent pas selon une hiérarchie stricte et permanente, mais selon des relations individuelles complexes et fluctuantes, influencées par le contexte et les individus présents.

Ainsi, penser que les chiens doivent déterminer « qui est le chef » pour vivre en harmonie est non seulement inexact, mais dangereux. Cela légitime l’inaction face aux conflits, ou pire, des méthodes d’éducation basées sur la peur ou la contrainte.

II. Les risques de l’inaction : entre conflits, traumatismes et apprentissages négatifs

Laisser les chiens interagir librement, sans cadre ni surveillance active, peut paraître naturel ou logique. Pourtant, cette absence d’intervention humaine dans les interactions canines peut générer des effets secondaires lourds de conséquences – aussi bien sur le plan émotionnel que comportemental.

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les chiens « régleraient les choses entre eux », l’inaction peut favoriser des conflits évitables, générer du stress chronique, altérer la qualité des futures interactions et provoquer des traumatismes durables.

A. Conflits non régulés : l'escalade comportementale

Lorsque deux chiens interagissent, ils communiquent en permanence par des signaux subtils : positions du corps, regard, port de queue, tension musculaire, grognements, vocalisations… Mais si l’un des deux ne comprend pas ou n’écoute pas les signaux de l’autre, la tension peut rapidement monter.

Sans intervention humaine pour rediriger ou désamorcer l’interaction, il y a un fort risque d’escalade :

  • Un chien intrusif peut provoquer de l’agacement chez un congénère plus réservé.

  • Un chien craintif peut être acculé et répondre par une agression défensive.

  • Une mauvaise lecture des signaux peut déboucher sur une morsure.

Ces conflits ne sont pas « formateurs » : ils ne permettent pas aux chiens d’apprendre à bien communiquer. Au contraire, ils peuvent renforcer des réactions extrêmes, comme l’évitement, la peur, ou l’agressivité anticipée.

B. Apprentissage émotionnel négatif : une expérience peut tout changer

Un chien n’apprend pas seulement à travers des récompenses ou des ordres. Il apprend aussi, de manière implicite, par les émotions associées aux expériences qu’il vit. On parle ici d’apprentissage émotionnel, un phénomène aussi puissant que méconnu.

Prenons l’exemple d’un jeune chien curieux qui s’approche d’un congénère au parc. Ce dernier, mal à l’aise, réagit violemment. L’expérience peut alors ancrer chez le chiot :

  • Une peur des autres chiens.

  • Une anticipation négative : « je risque de me faire attaquer si je m’approche ».

  • Un comportement d’évitement ou de fuite, voire de réactivité à long terme.

Ces apprentissages peuvent modifier durablement la manière dont le chien perçoit et interagit avec ses congénères. Un seul événement traumatisant, surtout en période sensible de développement (entre 3 et 16 semaines), peut suffire à créer des troubles du comportement.

C. Renforcement de comportements inadaptés

À l’inverse, certains chiens très sûrs d’eux peuvent, s’ils ne sont pas encadrés, développer des comportements intrusifs, insistants, voire oppresseurs. S’ils sont systématiquement laissés libres d’agir ainsi, sans intervention ni redirection, ils peuvent apprendre que :

  • Le harcèlement paie.

  • Les autres chiens doivent s’adapter à eux.

  • Aucune règle ne s’applique à leurs interactions.

Ce type de profil peut devenir source de tension dans les groupes canins, générer des peurs chez les autres, ou susciter une future bagarre. Il est donc essentiel de limiter les comportements trop brutaux ou non codés, et de proposer un cadre structurant, sans utiliser de punition.

petit chien blanc monte en excitation et harcèle le beagle

D. L’impact physiologique : stress et santé du chien

Au-delà des conséquences comportementales, l’inaction face aux tensions entre chiens peut aussi avoir un impact direct sur leur santé. Lorsqu’un chien subit une situation perçue comme dangereuse ou incontrôlable (par exemple : être acculé, encerclé, poursuivi), son organisme réagit par une élévation du cortisol – l’hormone du stress.

Si ces expériences se répètent ou ne sont pas régulées, le stress devient chronique. Cela peut entraîner :

  • Des troubles du sommeil.

  • Une diminution du système immunitaire.

  • Une baisse de tolérance à la frustration.

  • Des troubles digestifs.

  • Une sensibilité accrue aux douleurs.

Autrement dit, une mauvaise gestion des interactions sociales entre chiens affecte non seulement le comportement, mais aussi le bien-être physique de l’animal.

E. Une rupture de confiance avec l’humain

Un point souvent négligé : le rôle de l’humain dans la sécurité affective du chien. Quand un chien vit une situation difficile en présence de son référent humain, et que celui-ci ne réagit pas, cela peut engendrer une forme d’abandon émotionnel.

Le chien peut alors :

  • Ne plus faire confiance à l’humain pour l’aider ou le protéger.

  • Se sentir seul face à une situation qu’il ne sait pas gérer.

  • Prendre l’initiative de réponses extrêmes (fuite, morsure, aboiement…).

Cela peut fragiliser la relation humain-chien, nuire à l’attachement et rendre plus difficile l’éducation future.

III. Le rôle de l’humain : facilitateur et garant de la sécurité

A. Interpréter les signaux

Un chien communique par de nombreux signaux : posture, regard, tension musculaire, vocalisations. L’humain doit apprendre à lire ces signaux pour anticiper une montée en tension. Cela nécessite une observation fine et une vraie connaissance du langage canin.

Exemple : deux chiens qui « jouent » peuvent soudainement s’immobiliser. Leurs queues s’abaissent, les oreilles se figent, les corps deviennent rigides. Ce sont souvent des signes de malaise. Savoir repérer cela, c’est pouvoir interrompre avant qu’un conflit n’éclate.

B. Proposer un cadre

Un chien a besoin de repères, de sécurité, de cadre clair. L’intervention humaine – bienveillante, cohérente et prévisible – permet d’établir un climat serein. Cela ne veut pas dire surprotéger ni empêcher toute interaction, mais accompagner, modérer et rediriger quand nécessaire.

Le cadre peut passer par :

  • la gestion de l’espace (laisser de la distance, éviter les coins),

  • l’interruption d’un jeu trop intense,

  • le rappel d’un chien trop intrusif,

  • la protection d’un chien mal à l’aise.

IV. Comment savoir si l’interaction entre deux chiens se passe bien ?

Observer deux chiens interagir ne suffit pas : encore faut-il savoir ce qu’il faut observer. Contrairement aux idées reçues, un chien qui aboie ou grogne n’est pas forcément en danger, et deux chiens calmes ne sont pas nécessairement à l’aise. Il est donc essentiel d’apprendre à distinguer les signaux d’une interaction saine de ceux d’un malaise ou d’une montée de tension.

Voici les signes d’une interaction canine positive :

ces deux jeunes chiens jouent-ils

A. Un langage corporel détendu et symétrique

  • Les corps sont souples, les mouvements fluides.

  • Les queues bougent librement (sans être figées ou dressées).

  • Les oreilles sont mobiles, non plaquées en arrière.

  • Les chiens alternent les rôles : celui qui poursuit devient poursuivi, celui qui saute devient celui qui se couche.

👉 L’alternance est un excellent indicateur de confort mutuel.

B. Des pauses spontanées

Deux chiens qui s’entendent bien vont régulièrement faire des pauses dans leur interaction : renifler, s’éloigner, boire, gratter… Ces moments permettent de relâcher la pression et de ne pas dépasser le seuil d’excitation.

Un chien qui est en confiance n’a pas besoin d’interagir sans arrêt. À l’inverse, l’absence de pause peut être un signal d’excitation trop élevée ou de tension montante.

C. Des signaux d’apaisement

Les chiens bien codés utilisent naturellement des signaux d’apaisement pour maintenir une interaction sereine : bâillements, détournement du regard, mouvements lents, léchage de truffe, sniffing au sol…

Si ces signaux sont émis et respectés par l’autre chien, c’est bon signe. En revanche, s’ils sont ignorés ou intensifient le comportement du second chien, cela peut indiquer un malaise latent.

D. Un contact fluide sans tension ni figement

Un contact amical peut inclure des jeux physiques (bousculades, morsures contrôlées), mais ceux-ci doivent rester équilibrés. Si un chien se fige, bloque l’autre, se met sur lui ou l’immobilise sans alternance, cela peut indiquer un début de conflit ou un rapport de force non consensuel.

👉 Un chien mal à l’aise aura tendance à se raidir, à détourner le regard ou à chercher la fuite. Ces signaux doivent immédiatement alerter l’humain.


Ce qui doit alerter :

  • Aucune alternance dans le jeu (toujours le même qui poursuit ou saute sur l’autre).

  • Signaux d’évitement non respectés.

  • Grognements prolongés ou grognements accompagnés de figement.

  • Poils hérissés, regard fixe, immobilisation.

  • Un chien qui tente de fuir, se réfugie derrière un humain, monte sur une table ou un banc.

  • Présence de comportements de contrôle (montée sur le dos, blocage contre un mur…).

  • Un chien qui ne décroche pas malgré les signaux d’arrêt de l’autre.

V. Les cas particuliers à prendre en compte

A. Les chiots

Un chiot en plein apprentissage social ne peut pas être confronté à n’importe quel chien, n’importe quand. Il a besoin de modèles adultes stables et bien codés. Une mauvaise expérience peut suffire à saboter sa socialisation future.

Les séances de socialisation en milieu sécurisé (école du chiot, groupe bienveillant, promenades encadrées) sont essentielles. Il faut éviter les rencontres inopinées au parc à chiens avec des individus inconnus.

B. Les chiens réactifs ou craintifs

Certains chiens ont une histoire traumatique, une sensibilité accrue, ou souffrent de douleurs chroniques. Les exposer à une interaction libre non régulée peut provoquer un stress majeur. Pour ces chiens, chaque rencontre doit être préparée, graduée, souvent avec un professionnel.

C. Les chiens surexcités ou trop brutaux

Inversement, certains chiens sont mal régulés émotionnellement, manquent de codes ou sont surstimulés. Ils peuvent harceler un congénère plus calme, le mettre en insécurité, et transformer une rencontre en cauchemar. Là encore, l’humain doit poser des limites.

VI. Ce que dit la science du comportement animal

La recherche en éthologie canine montre que les interactions sociales réussies chez le chien sont basées sur :

  • la répétition d’expériences positives,

  • la capacité à réguler ses émotions,

  • le développement d’un répertoire social varié,

  • l’absence de punition ou de contrainte physique.

Plusieurs études indiquent que les conflits non résolus ou non encadrés augmentent les niveaux de cortisol (hormone du stress) chez les chiens. À l’inverse, des interactions sociales choisies, bien encadrées et positives favorisent un comportement stable, une meilleure tolérance et un bien-être global.

VII. Que faire à la place ?

A. Sélectionner les interactions

Il est essentiel de choisir les chiens que l’on met en relation : tempéraments compatibles, tailles adaptées, expériences sociales similaires. Il faut éviter les rencontres imposées.

B. Encadrer le jeu

Même un jeu qui semble joyeux peut dégénérer. L’alternance des rôles (chasseur/chassé), les pauses spontanées, l’absence de cris sont de bons indicateurs. Si un chien fuit, s’aplatit, grimpe sur les humains ou cherche à fuir, il faut intervenir.

C. Apprendre à son chien à ignorer

Un chien équilibré ne cherche pas à interagir avec tous les congénères qu’il croise. Il sait parfois passer son chemin. Cet apprentissage est essentiel pour une cohabitation harmonieuse en ville, en club ou en randonnée.

D. Faire appel à un professionnel

Un éducateur ou comportementaliste bienveillant, formé aux sciences du comportement et à jour sur les études récentes, pourra vous aider à mettre en place des interactions positives, respectueuses et sécurisées.

VIII. Pourquoi cette croyance persiste ?

Parce qu’elle est confortable pour l’humain. Elle évite de s’impliquer, de se former, de lire les signaux. Elle s’appuie aussi sur une vision dépassée du chien comme « animal instinctif » qui n’a pas besoin d’éducation, de cadre ou de soutien émotionnel.

Et parfois, elle fonctionne… par hasard. Mais le jour où cela ne fonctionne pas, les dégâts sont bien plus graves que les quelques efforts nécessaires pour prévenir les conflits.

Conclusion

Non, on ne doit pas laisser les chiens « se débrouiller entre eux ». C’est une idée séduisante mais dangereuse. L’intervention humaine n’est pas une entrave à la socialisation canine : elle en est le garant.

En tant que guides de nos chiens, nous avons la responsabilité d’assurer leur bien-être, leur sécurité, et de leur offrir des expériences sociales positives. Cela demande de l’observation, de la connaissance, de la patience. Mais c’est aussi ce qui permet à nos chiens de vivre dans un monde d’humains sans peur, sans conflit et avec sérénité.

quatre jeunes chiens courent ensemble

IX. Besoin d’aide pour mieux comprendre ou gérer les interactions entre chiens ?

Chaque chien est unique, et parfois, un regard extérieur bienveillant et professionnel peut faire toute la différence. Si tu rencontres des difficultés avec ton chien, que tu veux améliorer ses relations avec ses congénères ou simplement poser tes questions, je suis là pour t’accompagner.

👉 Contacte-moi ici pour bénéficier d’un accompagnement personnalisé, respectueux et fondé sur les dernières connaissances en comportement canin.

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